Mégret à Domrémy :
journal d'une mobilisation
Certainement
déçus par le peu d'impact de leur défilé du 1er mai 1999 à Paris (Le Chêne
parle de " blocus médiatique "(1)), Bruno Mégret
et le MNR ont décidé cette année de rendre hommage à Jeanne d'Arc à Vaucouleurs
(Meuse) et à Domrémy-la-Pucelle (Vosges). A un an des municipales, le leader
du MNR a décidé de s'inventer une légitimité en s'appropriant tous les lieux
de la mémoire nationale.
L'appel à cette manifestation figurait en page d'accueil du site web du MNR.
Il prévoyait un repas à la salle des fêtes de Vaucouleurs, les visites de
l'église de Domrémy et du musée de Jeanne d'Arc, un dépôt de gerbe au pied
de la statue de Jeanne et une allocution publique de Bruno Mégret. Dès que
nous en avons eu confirmation, début mai, nous avons organisé une rencontre
des collectifs Ras l'front de Meuse, Metz et Nancy afin d'organiser une riposte
à cette opération médiatique. A cette occasion, nous avons décidé d'envoyer
des courriers publics à tous les acteurs locaux susceptibles de modifier les
plans initiaux de B. Mégret (maires des deux villes, conseillers généraux
des deux cantons, députés des deux circonscriptions, diocèse et responsable
du musée). Les quotidiens régionaux (Est Républicain et Liberté de l'Est)
relayèrent bien l'information et rendirent compte de nos différentes démarches.
Les maires de Vaucouleurs et Domrémy, ainsi que le Conseiller Général gaulliste
du canton de Domrémy furent obligés de se démarquer publiquement de Mégret
et du MNR qualifiés pour l'occasion, par Roger Souchal, Conseiller Général
du canton de Domrémy, " d'extrémistes qui ne représentent plus grand chose
"(2) et coupables aux yeux de Daniel Coince, Maire de
Domrémy, de " récupérations hâtives, simplistes et sectaires "(3).
Nous avons aussi décidé de faire plusieurs collages d'affiches Ras l'front,
pour sensibiliser les habitants du coin. Nos affiches sont restées jusqu'à
la veille de la venue de Mégret. Le MNR local s'était peu mobilisé. Sauf par
un communiqué de presse des élus du conseil régional et municipaux de Lorraine
qui dénonçaient Ras l'front comme étant " une organisation groupusculaire
qui a toujours manifesté son indifférence, voire son hostilité à l'égard des
valeurs patriotiques et de ces héros telle Jeanne d'Arc "(4).
Le dimanche matin, un groupe de copains de Ras l'front Meuse est allé faire
un dernier collage pour tenter de baliser le terrain juste avant l'arrivée
de Mégret et de ses troupes. Malheureusement des colleurs du MNR tournaient
aussi.
Ils ont pu apercevoir le départ du 22ème pèlerinage Domrémy-Vaucouleurs, organisé
par l'Association des Pèlerins de Lorraine (catho-royaliste) dont le siège
social est à Nancy, à la Librairie Lorraine de Jean-Marie Cuny. Ils s'étaient
donnés rendez-vous à 8h30 à devant la chapelle de Domrémy. 40 personnes environ
parmi lesquelles une majorité d'enfants. La plus jeune semblait avoir 7 à
8 ans. Le cortège était composé de scouts d'Europe en uniforme bleu marine
avec une immense banderole " Dieu, Famille, Patrie ", d'Europa scouts en uniforme
brun et de membres du groupe Charles Foucault (groupe nancéien pratiquant
le " scoutisme traditionnel " dont le vice-président est Jean-Marie Cuny).
Vers 10 heures du matin, une voiture de gendarmes a contrôlé la voiture de
nos amis et les a conduit à la gendarmerie de Vaucouleurs pour une audition
qui a duré deux heures. Des chasseurs avaient prévenu les gendarmes que des
panneaux indicateurs avaient été détériorés. Nos amis sont ressortis de la
gendarmerie après avoir prouvé qu'ils n'avaient commis aucun délit. Ils collaient
des affiches Ras l'front dans des emplacements légaux. Il est à noter qu'au
cours de leur audition, les copains de Ras l'front Meuse ont vu entrer trois
militants du MNR de Meuse à l'intérieur de la gendarmerie. Signalons aussi
que nos amis ont pu voir des affiches d'un certain comité de défense de Jehanne
qui se proposait de bouter Mégret hors de Lorraine et de France.
Lors de son banquet à Vaucouleurs, Bruno Mégret n'a pu s'empêcher de dénoncer
" les voyous et les salopards de Ras l'front ", tandis qu'un de ses
lieutenants nous comparait à des " parasites modernes "(5).
Les collectifs Ras l'front de Lorraine s'étaient donnés rendez-vous à 15 heures
place de l'hôtel de ville à Domrémy. De Nancy et Metz, nous venions en voiture
alors que nos amis meusiens avaient réservé un bus. Domrémy était fermé à
la circulation.
A notre arrivée sur la place de l'hôtel de ville, nous apercevons une bonne
dizaine de militants du DPA posté à côté de notre lieu de rassemblement. Quelques
gendarmes sont présents également.
La presse, présente en nombre, nous pose toujours la même question.
" Allez-vous chercher l'affrontement ? ". Nous répondons invariablement
: " Pas du tout, ce n'est pas notre objectif ". Notre combat est politique.
Nous rappelons quelques vérités : la bête est blessée, elle n'est pas morte,
elle est d'autant plus dangereuse. Depuis 10 ans, nous sommes présents à chaque
initiative de Le Pen et Mégret. Il est hors de question pour nous de leur
laisser le champ libre pas plus aujourd'hui qu'hier. Les idées d'extrême droite
imprègnent toujours la société. A la question de savoir si nous redoutions
les affrontements, nous répondons de manière un petit peu hâtive que non.
Nous pensions que ce n'était pas l'intérêt des troupes de Mégret de se montrer
violentes en présence de la presse. Nous ajoutions un bémol en parlant des
liens extrêmement étroits existant entre le MNR et le GUD, organisation qui
fait de plus en plus parler d'elle à l'occasion d'actions violentes.
Avant l'arrivée de nos camarades meusiens, les gendarmes nous ordonnèrent
de nous déplacer vers la Maison de Jeanne d'Arc, située à une extrémité de
Domrémy.
Roger Souchal entame un débat avec nous et tente de nous convaincre que le
MNR n'est qu'un petit groupuscule sans importance. Tant qu'il sera financé
publiquement on ne pourra rien faire pour le contrer, dit-il.
A ce moment-là, arrivent nos camarades de Ras l'front Verdun qui sont orientés
par les gendarmes dans le parc de la Maison de Jeanne d'Arc. Leur arrivée
groupée est bruyamment hostile à Mégret. Tous les antifascistes se regroupent
sur la pelouse du parc. Une compagnie de gendarmes mobiles se place derrière
nous et nous enjoint de quitter la pelouse en nous poussant.
Les mégrétistes apparaissent à ce moment-là. Une quinzaine de gros bras du
DPA contourne les quelques gendarmes présents sur la place devant la maison
de Jeanne d'Arc et se dirigent vers nous. Un des leurs se jette sur un militant
antifasciste et lui arrache sa banderole. Celui-ci tente de la reprendre.
L'ensemble du service d'ordre mégrétiste se rue alors sur nous. S'ensuit une
belle débandade. Un de nos camarades tombe à terre et est rué de coups de
pieds. Plusieurs amis antifascistes lui viennent en aide. Les militants du
DPA sont gantés, quelques uns possèdent une matraque flexible. Certains sont
tatoués, comme des vrais hommes : un viking, une croix celtique ou le slogan
" White power
" sur le bras. Ils tentent d'empêcher un caméraman de France 3 de filmer la
scène.
Les gendarmes mobiles, qui se déplacent collectivement, mettent quelques minutes
avant de s'interposer. Six camarades antifascistes seront finalement légèrement
blessés.
Les gendarmes mobiles reçoivent l'ordre de nous repousser hors de Domrémy.
Notre résistance, face à des hommes suréquipés (boucliers, casques, masques
à gaz, matraques, pistolets, fusils...) est toute relative. La hiérarchie
militaire estime toutefois utile de tirer deux salves de grenades lacrymogènes
qui éclatent à nos pieds pour hâter notre retrait.
Un camarade de Ras l'front Meuse est arrêté par les mobiles. Poursuivi pour
coups et blessures sur agent, il restera deux heures en audition avant de
pouvoir nous rejoindre. Vu l'équipement des forces de l'ordre que nous avions
face à nous, les blessures qui lui sont reprochées doivent être bien légères.
Nous serons bien sûr attentifs aux suites éventuelles données à cette interpellation
et mènerons une campagne de solidarité, le cas échéant.
Les gendarmes mobiles nous auront finalement repoussés à 300 m de Domrémy,
permettant ainsi à Mégret et à ses troupes de parader tranquillement dans
le village. L'allocution du petit rat de Vitrolles se fera dans un champ prêté
par un riverain, le maire lui ayant refusé de le tenir dans le village.
Les gendarmes mobiles se retireront finalement vers 17h30 heures après s'être
assurés que tous les mégrétistes avaient bien quitté les lieux.
Le soir même, dans le journal de France 3, et le lendemain, dans la presse
écrite, les journalistes semblaient renvoyer dos à dos mégrétistes et militants
antifascistes quant à la responsabilité des affrontements. Il nous a semblé
important de communiquer une mise au point (voir ci-dessous) à la presse pour
établir les faits tels qu'ils se sont effectivement déroulés.
Jean-Christophe
(1)
Le Chêne mai 2000
(2) Est Républicain 09 mai 2000.
(3) Est Républicain 12 mai 2000.
(4) Est Républicain 11 mai 2000.
(5) Est Républicain 15 mai 2000.
MISE
AU POINT
Mardi 16 mai 2000
Les
comités Ras l'front de Lorraine avaient tenu à manifester leur désapprobation
lors de la venue de Bruno Mégret à Domremy, dimanche 14 mai. Nous considérons
qu'il ne faut pas rester indifférent devant la stratégie annoncée dans les
journaux mégrétistes : à un an des municipales, le leader du MNR a décidé
de s'inventer une légitimité en s'appropriant tous les lieux de la mémoire
nationale.
Nous avions choisi comme lieu de rassemblement le parking de la mairie, suffisamment
éloigné (200 m. au moins) de la maison de Jeanne d'Arc et du Monument aux
morts que nous savions être objets des convoitises mégrétistes. De cette façon,
nous pouvions faire entendre notre voix, sans jamais rencontrer les partisans
de Mégret.
Arrivés sur place, nos amis messins et nancéiens (membres ou non de Ras l'front)
sont guidés par les gradés de la gendarmerie devant la maison de Jeanne d'Arc,
tandis que notre délégation verdunoise, arrivée en autocar 5 minutes plus
tard, est canalisée par les gardes mobiles dans le parc de cette même maison.
Première question : pourquoi nous avoir installés, contre notre volonté, dans
le lieu hautement symbolique de cette journée ? Deuxième question : dans ces
conditions, pourquoi n'avoir pas prévu un cordon de gendarmes entre ce lieu
et la rue principale de village où commençait à arriver le cortège officiel
du MNR ? Troisième question : pourquoi, en l'absence d'un tel cordon de sécurité,
alors que les mégrétistes avaient pris position sur la place, nous avoir poussé
à leur contact direct ? Il ne restait plus aux sympathisants et hommes de
main de Mégret qu'à organiser une provocation violente (banderole arrachée,
coups), bien dans leur manière. Le commando, organisé, entraîné, matraque
téléscopique et poing ganté, a fait plusieurs blessés dans nos rangs et a
tenté d'empêcher un cameraman de FR3 de filmer la scène.
En quatre poussées de boucliers et deux lancers de grenade lacrimogène, les
gendarmes n'ont eu aucune peine à nous cantonner à l'extérieur du village,
de l'autre côté du pont qui fait face à la maison de Jeanne d'Arc. Dès lors,
même si le maire de Domremy lui avait refusé la voie publique pour prononcer
un discours, Mégret a pu, tout à loisir, fleurir le Monument aux morts, visiter
église et musée johannique et parader devant 300 fidèles, conformément à son
objectif proclamé de donner à cette journée provinciale une ampleur nationale.
Il nous apparaît que le scénario conçu par les responsables des forces de
l'ordre et qui, par son flottement, laissa le champ libre aux gros bras du
MNR, voulait en fait se caler sur la décision des responsbles politiques locaux
de laisser Mégret déployer tout son cérémonial. N'ont-ils pas compris, ces
élus, qu'ils prêtent ainsi involontairement la main aux menées d'une extrême-droite
raciste et brutale ?
Ras l'front-Nancy, le 16 mai 2000
Communiqué
de presse
Lundi 15 mai 2000
Ras
l'front-Nancy se satisfait de la condamnation qui frappe Jean-Louis Berger
pour contestation de crimes contre l'humanité. Ce professeur de français,
militant du Front National, a tenu en classe des propos antisémites et a nié
la réalité de l'extermination des juifs d'Europe par les nazis.
Nous espérons que l'Education Nationale va maintenant exclure de ses rangs
cet individu qui continue à toucher son salaire.
Ras
l'front-Nancy, le 15 mai 2000
Communiqué
de presse
Mardi 9 mai 2000
Bruno
Mégret cherche à récupérer une partie de l'histoire de France à son profit
: en l'occurrence celle de Jeanne d'Arc.
Dimanche prochain, il viendra en effet avec sa meute, à Vaucouleurs (55) puis
à Domrémy (88), pour lui rendre hommage lors de visites publiques, d'un dépôt
de gerbe et d'une allocution. Quelles que soient les manifestations qu'elle
organise ou ses résultats électoraux, nous ne devons pas rester passifs face
à l'hydre brune.
C'est pourquoi, les collectifs Ras l'front de Verdun, Metz, Nancy et des Vosges
organisent un contre-rassemblement à la venue de B. Mégret, le dimanche
14 mai à 15 heures à Domrémy et appellent l'ensemble des antifascistes
à s'y associer.
Nous entendons ainsi montrer notre forte opposition aux idées de haine, d'intolérance
et racistes du Mouvement National Républicain.
Ras l'front-Nancy, le 09 mai 2000
Une famille vosgienne, accablée par un deuil, se voit obligée de se défendre contre une manœuvre du parti de Bruno Mégret, le MNR. Cette famille vient de perdre un fils tué dans une bagarre. Le meurtrier présumé porte un nom arabe. Les partisans de Mégret ont sauté sur l'occasion. Annexant le nom de la victime, ils organisent le dépôt d'une gerbe devant le Monument aux morts du Val d'Ajol : " Hommage à Laurent Blaise, victime le 30 avril, de la haine anti-française " annoncent-ils, sur leur tract nauséabond. La mise en scène est lourde de sens. Le Monument aux morts rend hommage au français victime de guerre. La gerbe du MNR veut transformer une rixe en acte de guerre. L'intention des partisans de Bruno Mégret est claire : faire en sorte que tout un chacun se sente en guerre. Tenter de susciter des réflexes communautaires. Dresser les habitants les uns contre les autres. Semer la discorde civile. Ras l'front dénonce cette manœuvre de basse politique et rend hommage à une famille qui trouve, malgré sa douleur, la force de refuser les manipulations des partisans de Bruno Mégret.
Ras l'front-Nancy, le 6 mai 2000